BACK TO BLACK OU BACK TO BALEK ?

Un biopic sincère et ombré

Back to Black s'avance sans masque, assume clairement son hommage et joue en simplicité. En effet, la célébration est le seul maître-mot de ce biopic. Un biopic libre, parce que très sélectif sur son récit, de la chanteuse anglaise Amy Winehouse, icône musicale et voix unique partie trop tôt. On meurt toujours trop tôt quand on meurt jeune, et ce faisant on ne laisse finalement que peu de matière, au regard de ce qu'une carrière plus étendue aurait apporté. Difficile ainsi de proposer fermement qui était Amy Winehouse, puisqu'elle n'est pas entièrement devenue.

13 ans après son décès à l'âge de 27 ans dans des conditions tragiques mais légendaires et tristement « idéales » pour une artiste de génie - épuisement et overdose accidentelle d’alcool -, il apparaît au moins dans Back to Black qu’Amy Winehouse était autant de ses années d’activités (2000-2011) que du temps d’avant. Le temps des pin-ups, du jazz et du rnb. Celui du whisky et des cigarettes, des soirées partagées avec sa grand-mère au son des voix de Sarah Vaughan, Dinah Washington et Billie Holiday.

Cette existence d'une jeune femme londonienne simple, existence qui se déborde elle-même, contient un mystère que Back to Black, réalisé par Sam Taylor-Johnson, n’éclaircit pas et n'illustre pas autrement que par une représentation codifiée des malheurs d’Amy Winehouse, tout particulièrement cette douloureuse et néanmoins ravissante mélancolie qui l'a enchaînée pour le meilleur - professionnellement - et le pire - personnellement - aux histoires tristes.

Un angle restreint

Plutôt que d'adopter un format panoramique de toute la vie d'Amy Winehouse, Back to Black se concentre sur ses neuf dernières années, de la signature de son premier album à l'enregistrement de son second, l'exceptionnel Back to Black, puis à sa disparition, uniquement suggérée. Une courte période, et un angle restreint, puisque ce n'est qu'Amy Winehouse qui intéresse la caméra de Sam Taylor-Johnson, au point d'adopter sa seule subjectivité. Ce qu'elle ne voit pas, ce qu'elle ne sait pas, ce que les autres ne lui disent pas, n'apparaît donc pas à l'écran.

Ce choix de narration laisse peu de marge de manœuvre à Sam Taylor-Johnson, dont on reconnaît cependant le talent pour mettre brillamment en scène l'émotion amoureuse à trois reprises : la rencontre entre Amy Winehouse et Blake Fielder-Civil (Jack O'Connell) autour d'un billard et d'un juke-box, une visite du zoo de Londres et l'enregistrement du morceau et monstrueux chef-d'œuvre "Back to Black".

Mais ce choix de narration, partial et sans omniscience, a aussi deux conséquences : l'actrice principale Marisa Abela porte seule le film sur ses frêles épaules, et ses proches ne sont pas des personnages secondaires agissants mais plutôt des figurants de luxe.

Une performance impressionnante de Marisa Abela

Comme pour tout biopic, il faut avant tout réussir son interprétation principale. Et la jeune actrice Marisa Abela, âgée de 27 ans et dont c'est le premier rôle principal dans un long-métrage, accomplit parfaitement sa partition. L'actrice chante elle-même les chansons d'Amy Winehouse, preuve que l'imitation est largement dépassée. En effet, s'il avait fallu simplement reproduire Amy Winehouse, garder la voix originale de la chanteuse aurait amplement fait l'affaire, mais il s'agissait de vivre ces chansons et vivre l'artiste pour l'incarner, devenir elle tout en assumant ses irréductibles différences.

Ainsi, l'Amy Winehouse de Marisa Abela ressemble juste ce qu'il faut à la véritable. Son allure, sa vivacité, son désir amoureux et son indépendance forcenée sont là, et sa voix, avec son inévitable variation, rend le plus beau des hommages à l'originale par sa sincère envie de bien faire.

À ne regarder que cette Amy Winehouse, l'écouter chanter, comprendre son affection pour sa grand-mère Cynthia et son désir pour Blake, l'homme qu'elle s'est choisi envers et contre tout, Back to Black est un hommage tendre et réussi, une célébration de la jeune femme indépendante et surtout de la compositrice et chanteuse de génie. Mais si l'on voit les autres personnages, Blake, son père Mitch (Eddie Marsan), sa grand-mère (Lesley Manville), ses managers, on ne les regarde qu'au travers des yeux de la chanteuse, qui n'a que de l'amour à donner. Son père est donc protecteur, Blake est un gars plutôt équilibré, ses managers sont gentiment embêtants...

Ainsi, dans les zones d'ombre et de tumulte explorées par le scénariste Matt Greenhalgh et Sam Taylor-Johnson, Amy Winehouse est à la fois le seul sujet et le seul objet de son drame. Ce qui est d'ailleurs d'emblée mis en scène, dès l'introduction, où Back to Black représente l'addiction à l'alcool et au tabac de la jeune Amy sans en chercher l'influence, avant d'évoquer aussi rapidement ses troubles de l'alimentation.

Une sagesse excessive mais ambigüe

Ressort de ce choix de célébration et de la subjectivité de son personnage un biopic sage et lisse. Bien trop lisse pour entrer dans la complexité de la personnalité de la chanteuse. À moins que cette complexité n'ait été qu'un fantasme de son public et une construction cynique des médias, validée tacitement par ses producteurs pour donner du soufre à une jeune femme qui en réalité n'en avait peut-être pas tant.

Back to Black prend en effet le temps de peindre une Amy Winehouse qui ne désirait strictement rien d'autre que faire ce qu'elle voulait, égoïstement. Chanter ses chansons. Se marier. Avoir des enfants. Pas d'attrait pour la célébrité et pas plus pour la richesse, aucun goût pour le scandale ou la provocation... Et finalement une œuvre musicale on ne peut plus "classique", dans la lignée des grandes chanteuses de jazz du milieu du XXe siècle. Cette sagesse de Back to Black est-elle donc le fait artificiel d'un cinéma frileux ? Ou alors, par capillarité, la sensation logique et organique issue de la profonde simplicité de la chanteuse ?

Il restera ainsi, à chacun selon son rapport intime à Amy Winehouse, de déterminer si la sagesse en béton armé de ce biopic procède par inertie d’une consensualité absolue, ou si elle fait vibrer la jolie note sur laquelle, peut-être, Amy Winehouse aurait pu survivre et continuer à chanter, cette note simple et finalement commune qui aurait permis d'accorder la banalité viscérale de la personne à l’universalité exceptionnelle de son génie.

Back to Black de Sam Taylor-Johnson, en salles le 24 avril 2024Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

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